L'identité de la crèche
et la nôtre
Une faute de goût
Chaque année resurgit la ridicule question de la présence des crèches dans les mairies françaises. Comme la tête de veau mangée par les uns le 21 janvier ou les volets clos par les autres le 14 juillet, il s’agit avant tout d’un moyen assez misérable de diviser la Nation en invoquant de façon hypocrite une identité fantasmée tout en faisant fi du vrai sens de ce que l’on instrumentalise ce faisant.
Les crèches des mairies ressemblent plus, dans leur rapport au passant, à celles des grands magasins qu’à celles des églises. Et je ne vois pas en quoi transformer un récit religieux en provocation politique serait plus décent que d’en faire une attraction de quinzaine commerciale.
Dieu merci (!) la crèche n’a jamais été interdite ou persécutée en France comme des agitateurs d’extrême-droite tentent de le faire croire. Il y en a dans toutes les églises (même celles qu’ils désertent) et sur maintes places publiques, sans compter les vitrines les plus diverses. Chacun est libre d’en mettre une chez soi.
Avant d’être une “maison commune” où se célèbrent les mariages, la mairie est un bâtiment administratif où l’on vient accomplir de prosaïques formalités en pestant contre la file d’attente. A part dans les villes où elle squatte quelque ancienne abbaye ou palais épiscopal, la Mairie offre un cadre le plus souvent épouvantablement laïc, une architecture des années 1880 (pompeuse en ville, parfois miteuse ailleurs) avec des aménagements intérieurs de bric et de broc et souvent de formica. Il faut vraiment un mauvais goût à la hauteur de sa mauvaise foi pour y planter une crèche, toujours d’ailleurs sur le modèle provençal qui peut paraître doublement incongru au nord d’une ligne Arles-Barcelonnette.
Que diraient ces édiles de droite qui débitent leurs arguties sur la place de la crèche à la Mairie s’il venait à l’esprit d’édiles de gauche de planter le buste de Marianne au-dessus du maître-autel des églises dont ils sont légalement propriétaires1 ? Sans avoir fait sa thèse de philosophie sur Pascal (un auteur que ceux qui se réclament du christianisme feraient bien de lire) on sent bien qu’il y a là un mélange des ordres.
Une part de l’identité française ?
C’est, dit-on partout, que la crèche n’est pas cultuelle mais culturelle et qu’à ce titre elle est ancrée dans la culture française ; que “faire la crèche” est constitutif de notre identité nationale.
Le répéter n’est pas le démontrer. Quand ma grand-mère bruxelloise allait admirer la crèche à Saint-Nicolas, elle priait peut-être surtout pour les cadeaux (elle me l’a avoué) mais n’exprimait aucun lien particulier avec la France, dont le roi avait jadis canonné cette église.
Conçue ailleurs, non par les Français mais par les Franciscains en Ombrie, au 13ème siècle, sous forme vivante et pour les humbles, reprise sous forme pédagogique (et inanimée) par la contre-Réforme sur ses marges d’Europe orientale, introduite dans les familles françaises comme un acte de résistance durant la déchristianisation révolutionnaire, popularisée ensuite sous une forme folklorique provençale (mais mâtinée du goût un peu mièvre que l’on développait dans les boutiques de bondieuseries du quartier Saint-Sulpice à Paris) et finalement répandue à travers le monde dans les cultures les plus diverses, la crèche est le tabernacle d’un petit culte familial ; elle n’a rien de national (ou alors de façon conflictuelle) et n’est pas censée parler de la France aux Français plus que du Canada aux Canadiens ou de l’Équateur aux Équatoriens, quand bien même – bien sûr – ce sont toujours des éléments locaux (décor, métiers, costumes, cheptels) qui lui donnent son charme particulier.
Le Christ est (comme on le disait jadis de nos rois) partout chez lui et s’il est né à Bethléem en Judée2 ceux qui lui dressent une crèche au sein de leur demeure ne lui demandent ni de se faire Français, Canadien ou Équatorien, ni de leur parler de leur identité nationale. Concevoir une crèche avec les costumes de son pays n’est pas tambouriner l’identité de son pays mais inscrire celui-ci dans le Royaume qui les transcendent tous.
Chacun sait d’ailleurs ce que cet enfant vient dire et à quelle identité il s’adresse. « Mon royaume n’est pas de ce monde » : cela semble assez clair.
«Allez prendre des informations exactes sur le petit enfant. Quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille moi aussi l’adorer» 3
Les polémiques sont largement portées par des élus à qui l’affaire sert de brosse à reluire. Or le moins que l’on puisse dire c’est que le rôle que tiennent les responsables dans le récit évangélique est peu reluisant, du début à la fin. Entre les autorités de Bethléem incapables de loger le flux de migrants4 et la puissance romaine lâchement acoquinée avec les élites locales corrompues, on trouve la figure du roi Hérode, responsable du massacre des Innocents et de la Fuite en Egypte, laquelle est là pour rappeler aux croyants chrétiens un commandement vétéro-testamentaire constant5 : aimer et accueillir l’étranger en se souvenant que l’on a soi-même été étranger.
Même la présence des Rois n’autorise pas les politiques à fouler le sol de l’étable avec leurs Weston. Ceux qui étaient originellement des mages venus d’ailleurs n’ont été transformés en rois que bien plus tard (en gros : après l’effondrement de l’empire romain et dans le contexte historique de l’apparition de nouveaux royaumes). Bref rien à voir avec une identité politique et encore moins nationale ou française.
Même Napoléon, restaurateur tout politique de la religion catholique en France6 parce qu’elle lui semblait constitutive de l’identité française7, même lui qui n’hésitait guère à l’instrumentaliser autant que cela lui était utile et au-delà du raisonnable, même lui prit néanmoins bien soin de la cantonner dans les édifices qu’il lui avait rendus.
La seule crèche qu’on lui connaisse, conservée à Ajaccio, fut fort probablement un cadeau fait par le Premier consul à ses cousins corses en 1802. Et de surcroît, loin de la légende bien improbable qui en fit un objet pieusement rapporté d’Egypte, elle proviendrait d’Allemagne selon les experts. Ce qui ne lui enlève rien.
Une grosse centaine d’églises françaises portent, pour une raison ou une autre, sur leurs frontons, des inscriptions républicaines datant de fort longtemps et auxquelles chacun a fini par s’habituer.
Ni citoyen israélien, ni colon en Cisjordanie, ni réfugié palestinien, autre polémique absurde quoique rituelle.
Matthieu, 2 : 8.
Même si Joseph et Marie n’étaient évidemment pas des migrants au sens défini par l’ONU, ils n’étaient pas là en touristes mais dans le cadre d’une opération conduite par les pouvoirs publics avec sans doute un brin de désinvolture.
Deutéronome 10:19 ; Exode 22:21 ; Lévitique 19:34 et – pour des conséquences très concrètes en droit civil : Ézéchiel 47:22.
« Nous devons nous souvenir qu’après Dieu, c’est à Napoléon principalement qu’est dû le rétablissement de la religion dans ce grand royaume de France » (Pie VII).
« Je suis catholique parce que mon père l’était et que c’est la religion de la France » (Napoléon à lord Ebrington, le 8 décembre 1814, sur l’île d’Elbe). Cela mérite bien d’avoir son santon commercialisé par l’honorable maison TRUFFIER-DOUZON, à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) et chez quelques autres santonniers.





